L'HIVERNAGE DES COLONIES D'ABEILLES

par Gérard CLAERR

Bon sens, que d'erreurs n'a-t-on pas commises en ton nom !

Au sujet de l'hivernage de leurs abeilles, les apiculteurs ont des opinions très différentes et souvent contradictoires, où se mêlent l'anthropomorphisme, les sentiments, la routine et un soupçon de superstition. Les conditions climatiques, l'approvisionnement en nectar et en pollen au printemps et au début de l'automne jouent un rôle très important et peuvent être très variables d'une région à l'autre, et même d'un rucher à l'autre...

Ce qui est satisfaisant en Provence peut se révéler tout à fait insuffisant en Alsace. On pense tout de suite à la quantité de provisions nécessaires à une colonie pendant l'hivernage. Le problème de l'aération de la ruche, moins évident de prime abord, est cependant de première importance dans les régions à hivers longs et froids. En moyenne, sur l'ensemble de la France, environ 15 % des colonies périssent pendant l'hivernage. L'hiver et le printemps 1977-1978 ont été bien plus meurtriers, puisque les pertes ont atteint dans certaines régions 30, 40, 60 % et même davantage. Dans l'estimation du déficit, il faut également prendre en considération le fait que les colonies affaiblies par un hivernage défectueux demandent beaucoup de soins et que leur rendement en pollinisation ou en miel est très médiocre en général.

Un problème aussi grave doit être abordé d'une façon objective: il s'agit d'isoler un maximum de facteurs entrant en ligne de compte, d'examiner comment ils sont reliés entre eux, d'étudier chacun d'eux en particulier, de déterminer leur importance relative et la façon dont on peut intervenir dans la pratique apicole.

Il faut reconnaître tout d'abord que l'homme n'a pas réussi à domestiquer l'abeille. Un essaim sortant d'une ruche à cadres moderne se comporte sans doute comme il l'aurait fait il y a des milliers, des millions d'années. Il se met à la recherche d'un gîte convenable où il sera protégé contre les intempéries. Grâce à d'étonnantes facultés d'adaptation, cette colonie pourra survivre dans des conditions très difficiles. C'est donc de l'observation de son comportement pendant l'hivernage que nous tirerons les meilleurs enseignements pour l'apiculture.

 LA GRAPPE DHIVERNAGE

Les abeilles ne peuvent pas se mettre en hibernation comme les autres insectes. Elles vivent en société et doivent produire, par leur activité musculaire et leur métabolisme, suffisamment de chaleur pour maintenir une température minimale à la périphérie du groupe, et rester au contact des provisions accumulées pendant la saison précédente. Si elles n'y parviennent pas, la colonie périt.

Une colonie normale constitue en fait un organisme social se caractérisant par une forme spécifique qui ressemble à une grappe. Au maximum du développement estival, la grappe ne présente pas de contour précis: elle englobe l'ensemble du nid à couvain et assure la régulation très fine de la température et de l'humidité.

Lorsque la température de l'air environnant directement la colonie descend en dessous de 14° C, la grappe prend une forme beaucoup plus nette, qui se rapproche d'une sphère, car elle recherche l'économie de la chaleur. Les abeilles qui se trouvent au centre produisent alors de la chaleur, tandis que celles qui se trouvent en surface forment une couche isolante dont l'épaisseur varie entre 2 et 8 cm.

Lorsque la température atteint 7°, toutes les abeilles sont intégrées à la grappe. Cette température doit être maintenue en surface, sinon les abeilles qui s'y trouvent s'engourdissent et peuvent se détacher.

Au-dessus de 7°, la grappe se dilate, en dessous elle se contracte, réduisant ainsi la surface de déperdition de la chaleur.

Les abeilles qui forment la couche isolante sont parfaitement calmes, la tête dirigée vers le centre, les ailes légèrement levées à un angle d'environ 45°. Les cellules vides, libérées par le dernier couvain, sont occupées par des abeilles.

Les abeilles qui se trouvent au centre de la grappe sont moins serrées et produisent de la chaleur par leur métabolisme et leur activité musculaire, en quantité suffisante pour que la température à la surface dépasse 7°. La température centrale peut descendre jusqu'à 15°. Elle oscille normalement entre 20 et 35°. Une grappe normale émet un léger bruissement, semblable à celui que l'on produit en prononçant très faiblement « ch ». Un dérangement inhabituel se traduit par une augmentation d'intensité, qui correspond à une réaction de la grappe, suivie d'une élévation de la température interne.

Contraction et expansion de la grappe, voilà donc le mécanisme principal qui permet à la colonie de lutter contre le froid. Son fonctionnement correct dépend évidemment d'un contact permanent avec le miel, source d'énergie.

Une température très basse, -30° par exemple, pendant une période prolongée, peut entraîner une forte contraction de la grappe, lui faisant perdre contact avec les provisions et provoquant ainsi un engourdissement fatal. Les colonies faibles sont les plus vulnérables, car elles présentent un rapport défavorable entre le nombre d'abeilles et la surface de déperdition. Elles doivent donc maintenir une température interne plus élevée qu'une colonie forte et consomment davantage par abeille.

L'utilisation optimale des provisions est réalisée lorsque la température autour de la grappe se situe aux environs de 7°. La théorie selon laquelle la consommation de miel est d’autant plus élevée que la température est plus basse n'est pas fondée. On a constaté, en effet, qu'une colonie peut consommer davantage à -2° qu'à – 9°. Ce sont surtout les changements brusques de température et les perturbations diverses qui provoquent des élévations importantes de la température interne de la grappe, et donc une consommation accrue. En hiver, les abeilles ont besoin de calme.

L'enveloppe isolante de la grappe est très efficace, car la chaleur rayonnée est très faible. Elle n'est même pas suffisante pour faire apparaître au plafond d'une ruche une couche d'air plus chaud. A quelques centimètres de la grappe, on relève des températures proches, à quelques degrés près, de celle de l'air extérieur sous abri, que la ruche soit bien isolée ou non. On peut donc affirmer que « la meilleure isolation pour une colonie ce sont des abeilles ».

D'innombrables mesures de température effectuées par de nombreux chercheurs dans différents pays ont permis de constater que pendant la période sans couvain, c'est-à-dire d'octobre à janvier sous nos latitudes, la grappe ne « chauffe» pas la ruche. Par suite de la diversité des gîtes naturels et de leur volume très variable, un tel comportement serait d'ailleurs aberrant.

La grappe est tout à fait capable de se défendre elle-même contre le froid. Aux Etats-Unis, FARRAR a hiverné avec succès des colonies dans des ruches aux parois entièrement grillagées. Par rapport aux colonies logées en ruches normales, la température à l'intérieur de la grappe en janvier a été la même. Pour toutes les colonies, il, a mesuré, par des températures extérieures inférieures à 0°, une température d'environ 33° dans le nid à couvain. Il a pu constater l'importance de la protection contre le vent qui peut faire périr les colonies sans abri en quelques jours, par suite du dérangement qu'il provoque.

En 1862, Langstroth constatait également qu'une ruche sans plancher peut « hiverner mieux qu'une colonie soigneusement calorifugée, avec entrée réduite ».

Une isolation trop poussée peut se révéler nuisible aux abeilles, car elle transforme la ruche en chambre froide. Par une belle journée d'hiver, le réchauffement de l'air extérieur n'est même pas perçu par la colonie et elle perd ainsi une occasion précieuse d'effectuer un vol de propreté. Des retards de développement pouvant atteindre deux à trois semaines au printemps ont également été constatés par rapport à des colonies logées en ruches à parois simples.

Le froid n'est donc pas aussi dangereux pour les abeilles que des apiculteurs frileux semblent le croire. Il stimule, au contraire, des colonies fortes, saines et bien nourries.

 LES CONDITIONS PRINCIPALES POUR UN BON HIVERNAGE

Une meilleure compréhension de la façon dont la température conditionne la formation de la grappe et influence son activité et son comportement, permet de déterminer avec beaucoup plus de précision les conditions d'un hivernage correct et d'éviter des pertes prévisibles dès l'automne.

Ce que LANGSTROTH, le génial apiculteur américain, écrivait en 1859, reste encore valable actuellement :

« Si les colonies sont fortes en population et bien pourvues en provisions, si elles bénéficient d'une aération par le haut de la ruche et peuvent circuler librement d'un rayon à l'autre, si elles disposent d'eau lorsqu'elles en ont besoin et que toutes les ouvertures sont protégées contre les vents pénétrants, alors toutes les conditions pour un bon hivernage à l'extérieur sont remplies ».

A cette liste il faut cependant ajouter un facteur très important de nos jours : le bon état sanitaire, surtout en ce qui concerne la nosémose.

1)        Hiverner de fortes colonies avec un grand nombre d'abeilles jeunes

Selon FARRAR, l'important, ce n'est pas tellement où et comment on hiverne les abeilles, mais quel genre de colonies on fait hiverner.

On a pu estimer que pendant l'hivernage une abeille consomme en moyenne 2 mg de miel par jour dans une colonie de 25.000 abeilles, 3 mg dans une colonie de 15.000 et 4 mg dans une colonie de 8.000.

Dans une colonie faible, la partie centrale de la grappe doit en effet maintenir une température plus élevée que dans une colonie forte. La consommation est accrue, les résidus de la digestion s'accumulent dans le rectum d'abeilles surmenées. La dysenterie et la nosémose peuvent faire des ravages.

Trop souvent les apiculteurs tentent d'hiverner des colonies faibles parce qu'ils ne peuvent se résigner à diminuer l'effectif de leur rucher. Pourtant, s'ils procédaient à des réunions à la fin de l'été, ils éviteraient beaucoup de pertes au cours de l'hivernage et retrouveraient au printemps des colonies fortes qu'ils pourraient facilement diviser.

L'opération est avantageuse à plusieurs points de vue : consommation par abeille réduite de moitié environ, réduction du matériel exposé aux intempéries, risques réduits de nosémose, développement rapide au printemps, fortes colonies dynamiques permettant de tirer parti d'une miellée printanière, possibilité de former des nucléi précoces.

Aux Etats-Unis, les meilleurs praticiens considèrent qu'une colonie est vraiment forte si elle occupe au moins deux corps Langstroth, du plancher au couvre­cadres lorsque la grappe est formée.

Il est très important que ces fortes colonies soient pourvues de reines jeunes et prolifiques, qui poursuivent leur ponte longtemps en automne pour engendrer un grand nombre d'abeilles d'hiver, dont la longévité atteint 6 à 8 mois, alors que les abeilles d'été, nées en période de plein développement de la colonie, vivent en moyenne de 25 à 35 jours.

L'abeille « d'hiver » naît en automne, alors que l'activité est déjà réduite. Elle va se nourrir de pollen pendant plusieurs semaines, sans fonctionner comme nourrice. Ses glandes pharyngiennes et son corps adipeux se développent pleinement et restent dans cet état jusqu'à la reprise de l'élevage du couvain, en janvier ou février. Elle joue évidemment un rôle très important dans le développement de la colonie au printemps.

Des expériences très intéressantes ont été effectuées par MOELLER, à Madison (Wisconsin). Elles démontrent d'une façon incontestable la répercussion d'un arrêt de ponte prématuré au début de l'automne sur les pertes de colonies pendant l'hivernage, et la récolte de miel au courant de la saison suivante. Deux années de suite, dans des groupes comprenant chacun 11 à 13 colonies, il a encagé la reine pendant une période plus ou moins longue.

 

 

Récolte moyenne

Colonies perdues

 

par colonie en kg

pendant l'hivernage

 Première année

 

 

 Reine non encagée

144

1

 Reine encagée du 15.10 au 15-12

123

3

 Reine encagée du 15.9 au 15-12

136

6

 Reine encagée du 15.8 au 15-12 -

108

10

 Deuxième année

 

 

 Reine non encagée

120

0

 Reine encagée du 15.10 au 15.11

  95

2

 Reine encagée du 15.9 au 15.11

  74

3

 Reine encagée du 15.8 au 15.11

  58

6

 

L'élevage et le renouvellement des reines tous les ans constituent les facteurs fondamentaux d'une apiculture rentable. La tendance d'une reine à prolonger sa ponte longtemps en automne doit être retenue comme critère de sélection. Cette caractéristique est incontestablement déterminante sur les pertes d’hivernage et le rendement des colonies.

D'un point de vue pratique une ruche spacieuse en automne stimule la ponte de la reine et évite que le nid à couvain ne soit bloqué par le nourrissement. Si le pollen n'est pas assez abondant, il faut nourrir avec des galettes protéinées.

 

 

2)        Des provisions abondantes de miel et de pollen disposées correctement par rapport à la grappe

« Les abeilles ne meurent pas de froid, mais de faim ». La famine est en effet responsable de la plupart des pertes pendant l'hivernage. Elle peut avoir pour cause soit des provisions en quantité insuffisante ou de mauvaise qualité, soit une mauvaise disposition de celle-ci par rapport à la grappe, soit une perte de contact due à la faiblesse de la colonie.

Les miels de miellat ou de bruyère ne conviennent pas pour l'hivernage, car ils contiennent trop de substances indigestes. Une réclusion prolongée empêchant les vols de propreté peut provoquer des dysenteries catastrophiques. Il faut récolter ces miels au maximum et effectuer un nourrissement de remplacement au sirop de sucre concentré (10/ 6).

Il faut éviter cependant de nourrir trop tardivement et se garder de modifier l'ordre des rayons en automne. En effet, il ne faut pas désorganiser le nid d'hivernage de la colonie qui dispose ses provisions en coiffe au-dessus d'une zone de cellules vides où s'établira la grappe, Celle-ci ne peut pas se former sur des rayons remplis de miel. Si la structure du nid d'hivernage est défectueuse, par exemple si les provisions se trouvent dans le bas de la ruche et que la grappe s'établit dans le corps du haut, c'est à l’apiculteur de corriger la situation en inversant les corps à temps. La grappe a en effet tendance à monter, non à descendre. Elle doit normalement être coiffée par ses provisions. Il est recommandé d’effectuer un contrôle au cours de l'hivernage, par une belle journée de fin février ou début mars, pour s'assurer si la position de la grappe est correcte par rapport aux provisions et entreprendre, le cas échéant, une réorganisation consistant, soit à centrer la grappe dans la ruche, soit à mettre à sa portée des rayons de miel. Une colonie peut périr de famine, alors que la ruche contient des provisions abondantes, mais mal disposées. La pesée régulière des ruches donne cependant des indications très précieuses. Pour la mise en hivernage, elle permet de déterminer le complément de nourriture qu'il faut fournir à chaque colonie. Au printemps, on peut ainsi repérer facilement les colonies insuffisamment approvisionnées et contrôler la consommation par ruche.

Pendant la période sans élevage de couvain, d'octobre à janvier, une forte colonie consomme environ 5 à 7 kg de miel. Dès la reprise de l'élevage, les besoins augmentent rapidement. Dans le nord de la France, il faut environ 25 kg en tout pour un développement optimal jusqu'aux premières miellées printanières sûres.

Aux Etats-Unis, les recommandations de FARRAR sont bien plus généreuses : 27 à 30 kg pour une colonie sur deux corps Langstroth, et 40 kg pour une colonie occupant trois corps au début de l'hivernage.

De toute façon, dans ce domaine, « trop n'a jamais manqué ». Ce sont souvent de très belles colonies que l'on perd lorsque le printemps est capricieux. Deux ou trois kilos supplémentaires auraient pu les sauver.

En fait, cette abondance n'est pas du gaspillage; c'est au contraire un investissement des plus rentables.

Il est démontré que le développement des colonies au printemps et leur récolte de miel au cours de la saison est en relation directe avec la quantité de provisions disponibles pendant l'hivernage.

Avec 1.034 colonies en conduite intensive, MOELLER a obtenu, sur huit années, les résultats suivants :

 

Consommation

Nombre de colonies

Consommation moyenne en Kg d'octobre à avril

Récolte moyenne d'avril à octobre

Supérieure à la normale

472

29,6

81,4

Inférieure à la normale

562

21,4

67,3

Différence

 

8,2

14,1

 

Les colonies dont la consommation est la plus élevée pendant l'hivernage sont donc aussi celles qui récoltent le plus de miel au cours de la saison suivante.

L’importance des réserves en pollen est le plus souvent méconnue. Une colonie peut se comporter tout à fait normalement jusqu'au milieu de l'hivernage et dépérir rapidement au début du printemps. La cause peut être une maladie et/ou un manque de pollen qui empêchent un élevage normal du couvain. HAYDAK, le spécialiste américain de la nutrition de l'abeille, a montré que le poids et la teneur en protéines des abeilles au moment de l'éclosion sont en relation directe avec la quantité de pollen consommée par les nourrices, et reflète les fluctuations de l'approvisionnement en pollen.

FARRAR a fait hiverner des colonies sans réserves de pollen. A la fin de l'hivernage, leurs populations avaient été réduites de 78 %. La perte n'était plus que de 6 % avec 40 dm2 de rayons contenant du pollen.

Ces réserves sont surtout importantes dans les régions à hivers longs et à printemps capricieux. Un manque de pollen en mars, lorsque le nid à couvain est en pleine expansion, a des effets désastreux sur le développement de la colonie. La vigueur des abeilles est amoindrie et, par le fait même, leur résistance aux maladies. Il est prouvé que les ravages de la nosémose sont directement liés à une carence en pollen. La lutte pour la vie est d'abord une lutte pour obtenir des protéines, qui sont les éléments de base de la construction d'un organisme.

On peut obtenir d'excellents résultats en fournissant aux colonies, à partir du début du mois de mars, des galettes composées de lait en poudre écrémé, de levure de bière desséchée et de pollen, que l'on mélange à du sirop de sucre ou à du miel pour obtenir une pâte ferme. On façonne des galettes de 500 g environ, que l'on dispose sur la tête des cadres, le plus près possible de la grappe. Cette distribution doit être renouvelée chaque semaine jusqu'à ce que l'approvisionnement en pollen frais soit assuré. Pour MOELLER, les galettes au pollen constituent la clé du succès en apiculture intensive.

Pour l'élevage du couvain, l'eau est aussi importante que le pollen. Un manque d'eau, lorsqu'un mauvais temps persistant empêche les abeilles de sortir, se traduit par un retard de développement du nid à couvain. On peut en fournir aux abeilles au moyen d'un nourrisseur-ballon qui rentre dans la ruche. La consommation par semaine pour une forte colonie atteint 1,5 à 2 litres.

 

 

3)        Une bonne aération de la ruche pour évacuer l'humidité pernicieuse

Une grappe bien constituée est capable de supporter des températures très basses, à condition qu'elle ne soit pas soumise à une humidité excessive ou exposée à des courants d'air. Ces ennemis redoutables pro­voquent, en effet, un refroidissement accéléré de la couche d'abeilles externe, obligeant le centre de la grappe à produire davantage de chaleur. La consommation accrue qui en résulte, associée à la forte contraction de la grappe sous l’effet d'un froid vif, risque alors de causer une perte de contact avec les provisions et un engourdissement fatal des abeilles.

L'humidité excessive est avec la faiblesse des colonies et la mauvaise qualité des provisions, la cause principale de la dysenterie. Le miel en cellules ou­vertes absorbe beaucoup d'eau et les abeilles consom­ment une nourriture trop liquide. Il en résulte une surcharge du rectum qui peut provoquer cette diarrhée, lorsque des vols de propreté réguliers sont impossibles.

Les petites colonies sont particulièrement exposées à ce danger. En 1882, LANGSTROTH insistait déjà sur la nécessité de leur assurer une ambiance saine:

« Le haut de la ruche doit évidemment permettre l'évacuation de l'humidité en excès. Ce point est d'une grande importance pour des colonies faibles par temps très froid. »

Il est donc indispensable de munir d'un bon systè­me d'aération les ruchettes contenant des nucléi avec jeune reine, que l'on teste pendant l'hivernage afin de sélectionner les abeilles les plus rustiques.

L'humidité peut provenir soit de l'extérieur de la ruche, soit de la grappe elle-même.­

L'emplacement du rucher d'hivernage doit être choisi avec le plus grand soin. Il faut éviter les terrains humides, les zones basses où stagnent l'humidité et le froid. Un endroit légèrement en pente, à flanc de co­teau, orienté vers l'est ou le sud-est, donc bien ensoleillé, mais également bien protégé contre les vents dominants par une haie, des arbres ou un brise-vent artificiel, voilà à peu près le site idéal. On n'insistera jamais assez sur l'importance de la protection contre le vent en hiver.

Il importe de disposer les ruches sur un support à une trentaine de centimètres du sol, au-dessus de la zone où se produisent des contrastes importants de température et d'humidité. Il est conseillé également d'arrêter l'humidité du sol en plaçant sous la ruche des bandes de feutre bitumé, qui empêcheront par la suite l'herbe de pousser. Ce détail est surtout important lorsque le plancher est grillagé. Le trou de vol doit être réduit en hauteur à 7 mm pour empêcher l'entrée de petits rongeurs.

Mais la plus grande partie de l'humidité provient de la grappe elle-même. Pour produire de la chaleur, elle absorbe du miel et de l'oxygène et rejette du gaz carbonique et de la vapeur d'eau.

La «combustion » de dix kilos de miel produit plus de huit litres d'eau et utilise l'oxygène contenu dans 3,5 mètres cubes d'air environ.

Il se pose donc réellement un problème de renouvellement de l'air de la ruche pour assurer, d'une part, l'approvisionnement en oxygène et évacuer, d'autre part, l’humidité en excès, sinon les abeilles vont devoir macérer dans un milieu malsain.

L'air humide est plus léger que l'air sec à une température donnée. Légèrement réchauffé en plus par le rayonnement calorifique de la grappe, il s'élève vers le haut de la ruche, se répand au plafond, redescend le long des parois et revient à la grappe. C'est le schéma classique d'un courant de convection.

Dans une ruche dont la partie supérieure est bien fermée, les courants de convection s’établissent autour de la grappe d’hivernage suivant un schéma classique. Les échanges d'air par le trou de vol sont très réduits et dépendent de turbulences extérieures. Dans une telle enceinte, une bougie s'éteint et la grappe respire mal.

Au cours de ce trajet, l’air chargé de vapeur d’eau s’est refroidi au contact des parties froides de la ruche : couvre-cadres, parois, rayons. De l’eau de condensation apparaît, qui peut retomber en gouttes sur la grappe, geler au couvre-cadres, imbiber les parois, mouiller les rayons où le pollen moisit, devenant impropre à la consommation. Finalement, elle s’accumule dans un coin du plancher ou s’écoule par le trou de vol, si l’apiculteur a pris la précaution d’incliner ses ruches vers l’avant.

Pour éviter ces conditions malsaines, il faut évacuer  la vapeur d'eau avant qu'elle ne se condense. Ce résultat peut être atteint grâce à un système  d'aération classique, avec entrée d'air par la bas et sortie d'air par le haut de la ruche.

Aération ne signifie pas courants d'air, mais renouvellement lent et régulier de l'atmosphère de la grappe.

Le trou de nourrissement, percé dans le plateau couvre-cadres, convient parfaitement comme sortie d'air. Pour ralentir le mouvement, on le recouvre d'un matériau perméable, par exemple un carré de tissu ou de mousse de filtration, dont tous les pores sont ouverts. Le toit est surélevé de 4 mm au moyen de taquets disposés dans les coins.

Aux Etats-Unis, il est devenu courant de percer un trou d'environ 2 cm de diamètre sous une poignée du corps supérieur. Très peu de chaleur se perd par cette ouverture qui permet une évacuation satisfaisante de l'humidité, et sert de trou de vol de secours lorsque l'entrée du bas est obstruée par de la neige, de la glace ou des cadavres d'abeilles.

L'air qui s'échappe par le haut provoque un léger appel d'air par le bas. Grâce à ce renouvellement régulier de l'air, la respiration de la grappe peut s'effectuer normalement. Car si le haut de la ruche est étanche, les échanges d'air entre l'intérieur et l'extérieur sont très limités et dépendent surtout des turbulences provoquées par le vent. Une expérience très simple permet de mettre en évidence ce phénomène.

Un bac parallélépipédique en verre, un cristallisoir par exemple, est retourné sur une planchette rectangulaire dont trois côtés sont rehaussés par un encadrement en bois. L'ouverture ménagée sur le quatrième côté représente le trou de vol de la ruche miniature que nous avons constituée. Si l'on y introduit une petite bougie allumée, celle-ci s'éteint rapidement, malgré la proximité du trou de vol. Même si l'on pratique une grande ouverture grillagée dans le plancher, la situation n'est guère modifiée, la bougie s'éteint aussi. On peut l'en empêcher en soufflant légèrement par le trou de vol dès qu'on voit que la flamme baisse.

Le problème est résolu de façon plus élégante si l’on perce un petit trou dans le haut du bac. Mainte­nant la bougie ne s'éteint plus parce que de l'air chaud s'échappe par cette ouverture, provoquant un appel d’air par le bas. Auparavant, les courants de convection s'établissaient en circuit fermé, l'air s'appauvrissait progressivement en oxygène et la bougie finissait par s'éteindre.

Malgré la différence de température importante entre l'extérieur et la flamme, on ne constate donc pas de circulation d'air par le trou de vol. L'approvisionnement en air frais d'une grappe logée dans une ruche dont le haut est étanche s'effectue très mal. Dans ces conditions pénibles, elle peut être étouffée, comme la bougie, surtout si le trou de vol est obstrué par des abeilles mortes ou de la glace.

Ces principes élémentaires d'aération, appliqués couramment dans tous les bâtiments modernes, ne sont pas du tout révolutionnaires en apiculture.

En Hollande, en Allemagne du Nord (lande de Lünebourg), régions froides et humides sans conteste, les paniers traditionnels avaient leur trou de vol dans la partie supérieure. L'hivernage s'effectuait dans les meilleures conditions et le développement au printemps était précoce. La ruche Langstroth d'origine comportait également un trou de vol supérieur.

Bien sûr, il y a la sempiternelle objection qu'une ouverture dans le haut de la ruche ne semble pas du tout convenir aux abeilles, puisqu'elles colmatent la moindre fente avec de la propolis.

L'observation nous fournit cependant une réponse plus nuancée : les abeilles obstruent les ouvertures par lesquelles elles ne peuvent pas passer facilement. Nous retrouvons « l'espace d'abeille », dont la découverte a permis à Langstroth de mettre au point la ruche à cadres mobiles. Cet espace, qui vaut environ 8 mm, est respecté par les abeilles. Percez donc quelques trous de 1 cm de diamètre dans un couvre-cadres : sauf exception rare, les abeilles ne les boucheront pas. Des ouvertures plus grandes, comme le trou de nourrissement dans le couvre-cadres, restent bien dégagées pendant des années.

 

FAUT-IL LAISSER RESPIRER LE BOIS ?

Encore une de ces questions qui peuvent susciter des discussions aussi véhémentes que stériles. Il est certain que le panier en paille convenait bien à l'hivernage des abeilles, car l'air et l'humidité pouvaient facilement traverser sa paroi. Le bois est beaucoup plus dense que la paille: Il s'imprègne d'humidité et ne l'évacue que lentement. Lorsqu'il est mouillé, il a perdu 15 à 20 % de son pouvoir isolant.

Au printemps, si la ruche n'est pas bien aérée, c'est une chape froide et humide qui entoure la colonie; il lui faudra des semaines pour assécher les parois et retrouver un habitat sain, et elle subira de ce fait un retard de développement.

L'application d'une couche de peinture à l'extérieur, si elle protège le bois contre les intempéries, enferme par contre l'humidité provenant de l'intérieur dans le bois. Il en est de même lorsque l'on enveloppe une ruche avec une feuille de matière plastique. Au printemps, on constate que le bois est littéralement gorgé d'eau. Il faut se trouver dans une région à climat sec pour ne pas remarquer cet inconvénient majeur. La fine couche de propolis dont les abeilles enduisent les parois intérieures de leur ruche n'est pas assez régulière pour former un film étanche.

La solution rationnelle consiste à peindre l'intérieur et l'extérieur de la ruche, mais c'est un travail fastidieux. Une peinture à pigment d'aluminium (Thermo­peint par exemple) forme un revêtement durable qui assure une meilleure répartition de la chaleur à l'intérieur: elle la conduit dans les coins froids de la ruche, réduisant ainsi les condensations.

Pour les professionnels et les apiculteurs amateurs qui savent se grouper, on peut recommander le trempage à 1600 pendant une dizaine de minutes dans un bain de cire micro-cristalline à point de fusion élevé (supérieur à 80°). Le bois aura préalablement été traité par trempage dans un produit fongicide (Carbonyle ou Xylophène apiculture). De cette façon, le bois est parfaitement protégé et conserve ses propriétés isolantes en toute saison. En outre, la main-d'œuvre est réduite et l'on peut facilement désinfecter la ruche en effectuant un nouveau trempage.

 

FAUT-IL « EMBALLER» LES RUCHES ?

Pendant la période sans élevage de couvain, la grappe ne chauffe pas la ruche. Qu'une ruche soit isolée ou non, on relève dans les parties non occupées des températures assez voisines de celle de l'air extérieur sous abri.

Emmitoufler une ruche pour éviter que les abeilles « ne prennent froid» relève des bons sentiments d'un apiculteur frileux. En voulant conserver la chaleur, on conserve en fait une humidité pernicieuse, En plus, on transforme la ruche en chambre froide, et on empêche la colonie de percevoir un réchauffement de l'air extérieur, qui lui permettrait d'effectuer un vol de propreté par une belle journée d'hiver.

On emballait beaucoup les ruches aux Etats-Unis et au Canada jusque vers 1945. La plupart des apiculteurs en sont revenus et se contentent d’entourer la ruche avec du papier bitumé ou bien laissent la ruche telle quelle toute l’année.

Personnellement, je préconise une isolation « pull-over », que l'on met en place au début du mois de mars, lorsque le nid à couvain est en pleine expansion, pour le protéger contre les retours intempestifs du froid. Elle peut être enlevée lorsque ce danger n'est plus à craindre, vers la mi-avril ou début mai, suivant les régions. Le matériau utilisé c'est le polystyrène dur (Roofmate) en plaques, avec lesquelles je confectionne une sorte de coffrage. Cette pratique me donne de bons résultats: beaux cadres de couvain jusqu'aux extrémités et développement régulier des colonies.

 

CONCLUSION

 

Il faut bien se rendre compte que la durée de l'hivernage, au sens large du terme, représente dans la plupart des régions françaises entre la moitié et les deux tiers de l'année.

C'est dire toute l'importance qu'il faut accorder à la préparation des colonies pour qu'elles puissent passer cette période critique dans les meilleures conditions.

L'ignorance et la négligence causent, bon an mal an, la mort de centaines de milliers de colonies. Au printemps 1978, le cheptel français a été décimé dans une proportion de 25 %. Dans un rucher bien conduit, la perte ne devrait pas dépasser 3%.

«On ne commande à la nature qu'en lui obéissant ».

L'apiculture moderne devient de plus en plus intensive et exige davantage de compétence.

Avec des colonies fortes et saines, des ruches spacieuses, plus de provisions en miel et en pollen, un nourrissement complémentaire en sucres et protéines à bon escient, des reines prolifiques et une conduite intelligente, on peut réduire notablement la part du hasard et obtenir des rendements beaucoup plus élevés. Une productivité maximale n'a jamais gâté le plaisir de l'apiculture.